Carte. Localisation des Indiens de langue yucuna
Introduction à la langue et à l'écriture yucuna
La langue yucuna a été étudiée pour la première fois en 1963 par un couple de linguistes américains du Summer Institute of Linguistics (SIL) qui a notamment publié une phonologie (Schauer et Schauer, 1967), un texte traduit du mythe de Caripú Laquena (1975) et une grammaire (1978). Durant les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, ils ont également élaboré et encadré des travaux en langue destinés à apprendre à lire et à écrire le yucuna dans les écoles bilingues (Matapi, 1984 ; Yucuna, 1994). Plus récemment, en dehors du Nouveau et de l’Ancien Testament traduit en yucuna, ils ont élaboré une nouvelle étude phonologique et syntaxique de la langue (Schauer et Schauer, 2000).
En ce qui concerne la notation graphique, ceux-ci ont choisi de se baser sur l'alphabet espagnol afin de faciliter son enseignement et son emploi chez les Yucuna et d'éviter certaines confusions orthographiques entre espagnol et yucuna.
Mais cette notation a suscité de nombreuses discussions entre linguistes et indigènes, sans que les uns et les autres parviennent dans la pratique à fixer une seule norme d’écriture.
Actuellement, à en juger par les derniers travaux que nous avons pu consulter, et qui sont encore actuellement en phase préparatoire, il semblerait qu’un certain consensus ait finalement été établi autour de certaines normes. Mais celles-ci restent pour ainsi dire « flottantes », car elles ne sont encore ni complètement définies, ni utilisées par tous les rédacteurs de cette langue. Pour noter graphiquement notre corpus, nous avons donc repris les principales normes qui tendent à s’imposer aujourd’hui, et fait certains choix qu’il convient d’argumenter.
|
Transcription
phonologique |
Notation graphique |
Réalisation |
Consonnes |
|
|
|
|
/p/ |
p |
[p] |
|
/pʰ/ |
ph |
[pʰ] ou [ɸ] |
|
/t/ |
t |
[t] |
|
/tʰ/ |
th |
[tʰ] |
|
/k/ |
k |
[k] ou [kʷ] ou [kʲ] |
|
/ʔ/ |
' |
[ʔ] |
|
/s/ |
s |
[s] |
|
/h/ |
j |
[h] ou [x] |
|
/tʃ/ |
ch |
[tʃ] ou [tʃʲ] |
|
/m/ |
m |
[m] |
|
/n/ |
n |
[n] ou [ŋ] |
|
/ɲ/ |
ñ |
[ɲ] |
|
/ɾ/ |
r |
[ɾ] |
|
/l/ |
l |
[l] |
|
/w/ |
w |
[w] |
|
/j/ |
y |
[j] |
Voyelles
|
|
|
|
|
/a/ |
a |
[a] ou [ɑ] ou [ə] ou [ã] |
|
/e/ |
e |
[e] ou [ɛ] |
|
/i/ |
i |
[i] ou [ĩ] |
|
/o/ |
o |
[o] ou [õ] |
|
/u/ |
u |
[u] |
1. La plus importante ambiguïté actuelle concerne sans doute les règles de notation de l'accentuation. A notre connaissance, aucune décision définitive n’a encore été fixée de manière consensuelle à ce sujet. Les linguistes de la SIL avaient choisi de reprendre les mêmes règles que pour l’espagnol, mais certains linguistes et instituteurs indigènes ont optés pour la notation de l’accent sur la voyelle la plus accentuée quel que soit le morphème. L’ambiguïté est telle que la plupart les indigènes prennent rarement la peine de la noter (en tout cas jamais systématiquement), ce qui entraîne de nombreuses confusions entre morphèmes (le même problème se pose en tanimuca). Afin de réduire les risques de confusions liées aux différences de règles orthographiques entre yucuna et espagnol, nous avons préféré nous tenir au choix des linguistes de la SIL. Par conséquent, nous l’explicitons de la manière suivante :
Comme tous les morphèmes de la langue yucuna se terminent par une voyelle, l'accent tonique est noté pour marquer l'accentuation, sauf lorsqu'il se place sur l'avant dernière syllabe.
Exemple : |
[pipi'na] |
pipiná |
« ton ennemi » |
|
[hi'mitʃi] |
jimichi |
« herbe » |
L'accentuation est phonologiquement pertinente car elle permet souvent de distinguer deux morphèmes de sens différents.
Exemple : |
[ɾi'ɾa] |
rirá |
« il scie » |
|
['ɾiɾa] |
rira |
« son sang » |
2. Pour le reste, la notation graphique des linguistes de la SIL a globalement été reprise, sauf quelques exceptions.
2.1. La première modification touche leur écriture du /w/ (noté hu) et du /k/ (noté c devant a, o et u, et qu devant e et i), respectivement notés w et k aujourd’hui.
Remarque : cette nouvelle notation pose le problème des emprunts à l’espagnol, car si l’on change l’orthographe de ces emprunts, cela peut entraîner des confusions pour écrire en espagnol, et si l’on garde leur orthographe d’origine dans les textes yucuna, d’autres confusions sont à attendre... Sans doute qu’il serait préférable de garder les deux possibilités, en laissant le choix aux rédacteurs indigènes.
2.2. L’autre modification importante par rapport à la notation initiale de la SIL concerne la notation des voyelles qui encadrent une glottale.
Lorsque la glottale se situe entre deux voyelles de même nature : a’a, e’e, i’i, o’o, u’u, la deuxième n’est pas notée si la première voyelle est plus accentuée que la seconde, sauf quand elle se situe à la fin d'un morphème.
Exemple: |
[iʔipi'tʃi] |
i'pichí |
« ver » |
|
['aʔa] |
a’a |
« oui » |
Remarque : deux raisons nous ont incité à adopter cette économie d'écriture. D'une part, parce que la notation de la voyelle non accentuée apparaît redondante une fois que la phonologie a été définie, et d'autre part, parce qu'elle est souvent à peine audible, ou non prononcée devant une consonne, ce qui n'a aucune incidence sur le sens du morphème. La distinction entre 'CVʔ VCV et 'CVʔ CV n'est donc pas pertinente dans cette langue.
En revanche, la voyelle postglottale se note toujours lorsqu'elle est accentuée.
Exemple: |
[ɾiʔ'imi] |
ri’imi |
« sa viande » |
Lorsque l’une des deux voyelles porte l’accentuation principale du morphème, il convient de noter l’accent, si elle ne se place pas en avant dernière syllabe.
[awaʔ'a] |
awa'á |
« près » |
[rikohnoʔ'otʰiyaca] |
rikojno’óchiyaka |
« Tu règleras » |
[pila’maʔatahika] |
pilamá’tajika |
« aaaa » |
[pi’yaʔata] |
piyá’ta |
« Tu montres » |
3. Beaucoup de morphèmes à deux syllabes ont une voyelle allongée dans la première syllabe, même s'ils s'écrivent avec une seule voyelle.
Exemple |
['pa:ɾu] |
paru |
« banane» |
|
['hu:ni] |
juni |
« eau» |
4. Quand un morphème se termine par deux voyelles (diphtongue), la dernière est nasalisée.
Exemple |
[he'i̋] |
jeí |
« serpent» |
De même, les voyelles précédées d'un j sont généralement nasalisées, quand elles sont au milieu ou à la fin d'un mot, ou lorsqu'elles précèdent – ka ou – ch.
Exemple |
[ma:'hõ] |
majó |
« ici» |
5. Beaucoup de termes connaissent une variation libre entre le s et le j.
Exemple |
sajalu = jajalu |
« machette» |
D'autres peuvent aussi éliminer le j lorsqu'il est placé à l'initiale.
Exemple |
jeta'pá = eta'pá |
« banc à penser» |
6. Les abréviations adoptées pour la traduction mot à mot de notre corpus reprennent celles qui ont été proposées par Schauer et Schauer (2000).
Nous avons seulement ajouté « l’alterlocutif », un préfixe marquant l’altérité de lieu. Cela signifie que le lieu de l’action d’un verbe est distant de celui dans lequel parle le locuteur. Même s’il a exactement la même forme que le marqueur du passé récent (en -icha), nous avons préféré le distinguer pour faciliter l’interprétation.
ACCOMPL |
Accompli |
IMPARF |
Imparfait |
PROG |
Progressif |
ALTER.LOC |
Alterlocutif |
INTERR |
Interrogatif |
REFL |
Reflexif |
BUT |
Finalité |
LIM |
Limitatif |
SING |
Singulier |
DESIR |
Désir |
NEG |
Négation |
SPCR |
Spécificateur |
EXCL |
Exclamatif |
ONOM |
Onomatopée |
SUBJ |
Subjonctif |
INF |
Infinitif |
PASS |
Passé |
SUJ.VIDE |
Sujet vide |
FUT |
Futur |
PASS.REC |
Passé récent |
|
|
GEN |
Générique |
PL |
Pluriel |
|
|
Bibliographie
FONTAINE Laurent
— 2000Paroles d’échange et règles sociales chez les Indiens yucuna d’Amazonie colombienne. Thèse de doctorat dirigée par Pierre-Yves JACOPIN, Paris III / Sorbonne nouvelle-Iheal.
JACOPIN Pierre-Yves
— 1970 Mission chez les Indiens yukuna de la région du Miritiparana, Journal de la Société des Américanistes, T. LIX, pp 155-163.
— 1977 Habitat et Territoire Yucuna, Journal de la Société des Américanistes, T. LXI.
— 1981 La parole générative de la mythologie des Indiens Yukuna. Th. Université de Neuchâtel, 392p.
SCHACKT Jon
— 1989-1990 Rango y alianza entre los Yukuna de la Amazonia colombiana. Revista Colombiana de Antropología, Vol XXVII. Bogota, pp 137-157.
— 1990 Hierarchical Society : The Yukuna Story. Ethnos Vol. 55 (III-IV), pp 200-213.
— 1994 Nacimiento Yucuna. Reconstructive ethnography in Amazonia. Th. Université d'Oslo, 458p.
SCHAUER Junia
— 1985 Por que los Yucunas necesitan una educación bilingüe-bicultural. Bogota : Instituto Linguistico de Verano, 1985.
SCHAUER Stanley, SCHAUER Junia
— 1967 Yukuna Phonemics. In : Phonemic Systems of Colombian Languages. Oklahoma : Norman / Summer Institute of Linguistics, pp 61-71.
— 1975 Texto Yucuna por Quehuají Yucuna. La Historia de los Caripú Laquena. In : Folclor indigena de Colombia T.1, Bogota, pp. 252-333.
— 1978 Una gramática del Yucuna. Articulos en lingüistica y campos afines. Bogota : Instituto Lingüístico de Verano / Digidec, pp. 1-52.
— 2000 El Yucuna. Lenguas indígenas de Colombia. Una visón descriptiva, Bogota, Institut Caro y Cuervo, pp. 515-532.
— (En préparation) Diccionario Yucuna-Español. 121p.
MATAPI Carlos, MATAPI Bonifacio
— 1984 Jupimi i'imacaño yucuna. La historia de nuestros antepasados en yucuna y español. Lomalinda : Editorial Townsend, 28p.
VAN DER HAMMEN Maria Clara
— 1991 El manejo del mundo. -(2ed. 1992). Bogota : Tropenbos, 378p.
YUCUNA Eladio (comp.)
— 1994 Que'iyapeje yucu mari huapura'aco chu. Una colección de leyendas y mitos en yucuna y español. Bogota : Editorial Alberto Lleras Camargo, 104p.