Arabe yéménite (dialecte de Zabid)
ISO 639-3 : ayn
Dialectes arabes du Yémen
Contexte social et géographique
La République du Yémen est née le 22 mai 1990 de la fusion de deux États souverains, la République arabe du Yémen (Yémen du nord), et la République démocratique et populaire du Yémen (Yémen du sud).
Connu dans l'antiquité sous le nom de Arabia felix, le Yémen est situé à l'extrême sud-ouest de la Péninsule arabique, bordé par la mer Rouge et le détroit de Bāb al-Mandab ("la porte des lamentations") à l'ouest, par le golf d'Aden qui ouvre sur l'océan indien au sud. Il s'étend sur 555 000 km2 et partage des frontières avec l'Arabie Saoudite au nord et le sultanat d'Oman à l'est. Cent douze îles et îlots lui sont rattachés. Le Yémen est géologiquement apparenté à l'Afrique dont il est séparé par l'effondrement de la mer Rouge.
Situé dans une région essentiellement désertique, le pays bénéficie d'un climat contrasté du fait de la morphologie de son sol au relief escarpé et volcanique : à la Tihama, plaine côtière qui longe la mer Rouge, succèdent brusquement des montagnes abruptes avec un pic culminant à plus de 3 666 mètres à Jabal al-Nabi Shu‘ayb, suivies d'une zone montagneuse centrale (de 1 800 à 2 500m d'altitude) avec des plateaux ouvrant à l'est sur le grand désert de sable de la Péninsule arabique.
Le Yémen fait partie des pays les plus pauvres du monde. Sa population est évaluée à près de 28 millions d'habitants dont 77% vit dans les campagnes et s'adonne principalement à l'élevage et à l'agriculture. Depuis quelques décennies la culture du qāt (Catha edulis Forskal) prospère au détriment des autres cultures vivrières, notamment celle du café, et couvre plus de 30% des terres arables. La consommation du qāt, jadis réservée aux élites, touche maintenant toutes les catégories sociales tant dans les villes que dans les campagnes.
La Langue
Dans sa description de la Péninsule arabique (ṣifat ʒazīrat al-ʕarab), al-Hamdānī, polygraphe du 10e siècle, consacre un chapitre aux ''langues des habitants de la Péninsule''. A côté de l'arabe, langue dominante, il mentionne la présence du himyarite. La ''pureté'' et "l'intelligibilité'' des dialectes arabes sont appréciées en regard de l'arabe classique. AI‑Hamdānī distingue ainsi les lieux où les habitants parlent une langue «pure, correcte» (fuṣaħāʔ), «plutôt correcte» (lā baʔs bi faṣāħatihum), ''proche de correcte'' (qarīb min ðālika), ou ''pas correcte'' (lājsū bi fuṣaħāʔ), ceux qui ont une langue ''mi-correcte mi-défectueuse'' (xalīṭī min mutawassiṭ bajn faṣāħat w al‑luknat), ''défectueuse'' (luknat), ou «plus proche du défectueux» (ʔila al-luknat ʔaqrab), ceux dont la langue est jugée «lamentable» (radijjat), ou «non pure» (mūladat), ceux qui parlent un arabe ''complexe, incompréhensible'' (taʕaqqud), ''mêlé de himyarite'' (ʕarabī jaxluṭ ħamīrijjat), ou ''avec des éléments de himyarite'' (ʃajʔ min al-taħmīr), enfin ceux qui parlent le himyarite (al-ħamīrijjat al-qaħħat). La langue himyarite était encore parlée par une partie de la population du Yémen dans les premiers temps de l'Islam.
Aujourd'hui, le Yémen fait sans aucun doute partie des régions du monde arabophone les plus riches sur le plan dialectal, du fait de son emplacement aux confins de l'arabophonie, de son isolement politique et économique sur une longue période par rapport aux grands axes de communication sur la Méditerranée, et de sa géographie physique accidentée qui ne favorise pas les contacts internes. Cette richesse dialectale demeure insuffisamment étudiée.
Le dialecte de Zabid
Contexte social et géographique
Zabid est une ville côtière située au sud-ouest du Yémen, dans la plaine qui longe la mer Rouge, la Tihama. La région est surtout connue pour ses palmeraies qui représentent 95% de la superficie totale des palmeraies yéménites.
Dans les années quatre-vingt dix Zabid comptait près de 54 000 habitants. Jadis florissante – elle fut la capitale du Yémen du XIIème au XVème siècle – elle suscite de nos jours l'intérêt des historiens, des urbanistes et des archéologues, en raison de son architecture domestique et militaire et de son tracé urbain. Les maisons traditionnelles en briques cuites sont construites sur un modèle de base avec une grande pièce donnant sur une cour intérieure à ciel ouvert. Les maisons les plus cossues ont deux ou trois étages et des intérieurs richement décorés avec des murs, des niches et des plafonds sculptés. Depuis le déclin progressif de la ville, une grande partie des habitations traditionnelles est tombée en ruine. Depuis 2000, Zabid est classée au patrimoine mondial en péril, par l'UNESCO.
La langue
Le dialecte de Zabid appartient à l'ensemble dialectal que constituent les dialectes de la Tihama yéménite, dont il se distingue néanmoins par des particularités morphologiques et lexicales. Parmi ses principales caractéristiques, on relève la substitution de la laryngale /ʔ/ à la pharyngale /ʕ/, des réalisations éjective, post-vélaire et vélaire de l'uvulaire *q, [kˀ], [ḳ], [k], le morphème /-an/ 3SGF de la conjugaison suffixale (accompli), la distinction des genres à la 1ère personne du singulier, /ana ~ ani/, un marquage échelonné de la définitude (du non spécifique au spécifique), avec un type de marquage complexe associant le défini /am-/ à l'indéfini /-u/, ou aussi le numéral à l'indéfini /waħd-u/ (S. Naïm 2014).
D'importantes particularités lexicales sont relevées notamment en ce qui concerne les verbes de déplacement. Ceux-ci intègrent à leurs composantes sémantiques une dimension temporelle peu fréquente dans les langues du monde (non attestée chez Levinson (2006) ou chez Talmy (2007)). Ils révèlent un type de rencontre rare entre le temps et l'espace de sorte que pris isolément chaque verbe renvoie en lui-même à un itinéraire spatialement et temporellement repéré (S. Naïm 2002, 2006, 2010, S. Naïm & C. Pilot-Raichoor 2016).
Le corpus
Les missions sur le terrain qui ont permis le recueil du corpus (le dialecte étant jusqu'aux années 90 pas du tout sinon très peu documenté) se sont déroulées entre 1993 et 1996. Ce corpus comprend des éléments de littérature orale (contes, devinettes, chants), des conversations autour du quotidien des femmes à la maison, des questionnaires de dialectologie arabe (phonétique, phonologie, morphologie, syntaxe, TAM…), des enquêtes lexicales notamment sur les palmiers dattiers, les verbes de déplacement et d'orientation et le vocabulaire de l'habitat.
C'est principalement dans la famille Hadrami, l'une des grandes familles de Zabid, où j'ai séjourné que j'ai pu recueillir une part importante de mon corpus. Par l'entremise de cette famille, j'ai pu accéder par la suite à leur voisinage et aux membres de leur famille résidant dans les villages situés à quelques kilomètres de là. Les enquêtes sur le palmier dattier on ainsi été poursuivies dans les palmeraies de Swayq situé dans la vallée de Zabid (à 17 km) et Husayniyyeh (16km de Zabid).
Bibliographie sélective
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Diem, Werner – 1973 – Skizen Jemenitischer Dialekte, Beiruth u. Wiesbaden, Steiner (Beirutur Texte und Studien).
Greenman, Joseph – 1979 – "A sketch of the Arabic dialect of the Central Yamani Tihāmah. Zeitschrift für arabische Linguistik, Wiesbaden, Harrassowitz, N. 3, p. 47- 61
Jastrow, Otto, 1984 – “Zur Phonologie und Phonetik des San‘anischen”, Entwicklungs-prozesse in der ArabischenRepublik Jemen, Hrsg. v. H. G. Schweizer, Wiesbaden, Dr. Reichert, p. 289-304 (Jemen Studien 1).
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–, 1938 – “Appunti di dialettologia del yemen”, RSO. 17, Roma, p. 230-265.
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Ressources
DOI | Type | Transcription(s) | Durée | Titre | Chercheur(s) | Locuteur(s) | Date |
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https://doi.org/10.24397/pangloss-0007645 | 00:10:04 | Le fils du roi et le ramasseur de bois | Naïm, Samia | T.H | 1993-01-11 | ||
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007679 | 00:01:27 | L'héritier | Naïm, Samia | 1993-01-11 |