Teanu

1. La langue

2. Le corpus teanu

2.1 Le terrain

L’île de Vanikoro est difficile d’accès, du fait notamment de l’absence d’aérodrome. Les seuls vols venus de la capitale se posent à Lata, la capitale provinciale sur l’île de Santa Cruz ; de là, il faut attendre qu’un navire vous emmène jusqu’à Vanikoro. Il n’est pas rare que les petites embarcations se perdent en mer.

Le linguiste Alexandre François s’est rendu deux fois à Vanikoro, chaque fois en lien avec un projet pluri­disciplinaire.

En 2005, l’expédition Lapérouse 2005 fit venir de Nouméa une centaine de participants, en quête du souvenir concernant le navigateur français Jean François de Lapérouse – dont les deux navires se brisèrent en 1788 sur les côtes de Vanikoro. Tandis que les archéologues sous-marins plongeaient en quête des vestiges concrets des deux navires, François parcourait les villages de l’île, en apprenait les langues, et enregistrait des récits de la tradition orale au sujet de ces navigateurs français qui avaient, les premiers, échoué à Vanikoro.

François eut l’occasion de revenir en 2012 dans le cadre d’une expédition de géologues de l’IRD, qui étudiaient les changements dûs à l’activité sismique et au réchauffement climatique. Le linguiste saisit cette occasion pour enrichir ses connaissances sur les deux langues moribondes de l’île, le lovono et le tanema.

Au total, François a passé 29 jours en contact direct avec les locuteurs du teanu, qu’il s’agisse d’étudier la langue elle-même, ou de recueillir sa littérature orale et sa musique.

2.2 Le corpus

La présente archive teanu inclut 51 enregistrements de genres variés : chants et musique ; conversations ; contes et mythes… Outre quelques chants, les enregistrements de parole forment trois ensembles :

• quelques conversations à bâtons rompus dans la langue
• 16 récits ou discussions autour du souvenir de l’expédition de Lapérouse en 1788
• 27 récits issus de la tradition orale de Vanikoro.

Les notes ci-dessous se concentrent sur les histoires qui se trouvent enrichies d’annotations (transcription et/ou traduction).

2.2.1 Deux récits concernant Lapérouse

Deux récits narrés par Chief Thomas (†2009) concernent la figure historique de Lapérouse – ou plutôt, le personnage qu’il est devenu dans le folklore local. “Le message de Lapérouse” et “Le trésor laissé par Lapérouse” sont deux anecdotes brèves sur le navigateur, vue du point de vue des insulaires.

2.2.2 En poussant la pirogue à la mer

Dans ce récit, Mofet Bwana explique comment les pirogues neuves, une fois taillées dans le bois de grands arbres dans les hauteurs de l’île, sont ensuite entraînées jusqu’à la mer. Un sorcier fait œuvre de magie pour alléger la pirogue, puis les hommes chantent pour se donner du cœur à l’ouvrage, jusqu’à ce que l’embarcation atteigne enfin la côte.

2.2.3 L’île des Esprits dansants

Le mythe des Esprits dansants, narré par Chief James Cook Pae (†2014), relate l’origine des esprits “Tamaté”, lesquels visitent régulièrement l’île de Vanikoro pour danser en public [cf. photo]. (Voir aussi cette autre page pour une présentation de ce mythe.)

Un jour, un couple de Vanikoro se perdit en mer – mais il finit par accoster sur un îlot au nord du Vanuatu voisin. Cette île mystérieuse n’étaient pas habitée par des humains, mais par de magnifiques créatures appelées Tamaté. (À noter, le mot Tamate est répandu dans les îles du nord du Vanuatu pour désigner les « fantômes », « esprits », ainsi que les « coiffes de danse ».) Le couple fut si fasciné par leurs danses, qu’ils demandèrent à rapporter quelques créatures Tamate avec eux à Vanikoro.

2.2.4 Mwasu et la femme interdite

Le même conteur, Chief James Cook Pae, raconte le mythe de Mwasu. Ce récit explique comme le village de Pakaré, sur la côte ouest de Vanikoro, fut un jour entièrement dévasté.

Un beau jour, la communauté de Pakaré organisa un festival de danse, sur deux îlots en mer. Tout le monde, ou presque, quitta l’île principale, pour aller passer sur ces îlots plusieurs semaines. Seules deux personnes restèrent à Pakaré : un jeune homme nommé Mwasu ; et plus loin dans le village, une femme qui venait juste d’accoucher. Alors que Mwasu cueillait des pommes, il aperçut cette femme, et en tomba amoureux. Or le problème est qu’il s’agissait de sa cousine croisée (leka), une relation absolument taboue à Vanikoro. Mwasu eut beau demander plusieurs fois à sa cousine de le suivre, elle ne cessait de refuser : elle était terrifiée de ce que diraient leurs familles. Mwasu était si résolu à l’épouser, qu’il finit par décider d’anéantir toute sa communauté ! Projetant deux rochers lourds, il détruisit les deux îlots, annihilant ainsi l’entière population de Pakaré. Finalement, la femme accepta de le suivre…

2.2.5 L’arbre kaori

Cette histoire est le mythe d’origine de l’arbre kaori (Agathis macrophylla) – la plus précieuse des essences d’arbre à Vanikoro.

Un couple vivait à Lovono, un village au nord de Vanikoro. La femme tomba enceinte, mais au lieu d’un enfant, elle donna naissance à un objet étrange : une sorte de pierre, ou de pomme de pin. Perplexe, elle décida de le planter dans le sol. Quelque temps plus tard, une plante poussa à cet endroit – et devint un arbre imposant, qui leur était inconnu. Lorsque cet arbre donna ses fruits, le couple alla les planter tout autour de l’île. C’est ainsi que Vanikoro fut couverte d’arbres kaoris.

3. Notes sur la langue

3.1 Orthographe

L’orthographe proposée pour la transcription du teanu suit l’ordre alphabétique suivant :

{ a  b  bw  d  e  g  i  j  k  l  m  mw  n  ng  ñ  o  p  pw  r  s  t  u  v  w }.

Chacune de ces lettres (ou de ces digraphes) correspond à un phonème de la langue.

L’inventaire phonologique du teanu comprend 19 consonnes. Le tableau suivant liste ces phonèmes (en API), et indique entre crochets la convention orthographique. Par exemple, la lettre ‹ j › dans l’orthographe représente l’occlusive palatale prénasalisée /ᶮɟ/ – par ex. vijele [fiᶮɟele] ‘bouteille’.

Tableau 1 – Les 19 consonnes du teanu

• Le phonème /v/ se réalise parvois voisé [v], parfois dévoisé [f], surtout en début de mot: ex. vao [fao] ‘porc’; ive [ive] ~ [ife] ‘pourquoi’.
• Il n’existe pas de semi-voyelle palatale y [j] qui soit phonologique. Ce son n’existe que comme une variante allophonique de /i/ devant une autre voyelle: e.g. iebe [i.e.ᵐbe] ~ [je.ᵐbe] ‘balai’.

Le teanu a cinq voyelles, toutes brèves.

Tableau 2 – Les cinq voyelles du teanu

Le teanu a une préférence pour les syllabes ouvertes (CV), et tous les mots se terminent en voyelle. Cependant, on trouve parfois des groupes de consonnes à l’intérieur des mots (suite à des processus historiques de syncope d’une voyelle fermée /i/ or /u/):

Tableau 3 – Quelques mots en teanu, avec ou sans groupe de consonnes

N’hésitez pas à consulter le dictionnaire en ligne teanu–anglais.

3.2 Marques pronominales

Les pronoms personnels du teanu distinguent trois nombres : singulier, duel, pluriel. Les pronoms indépendants peuvent servir de sujet, objet, régime de prépositions. Par ailleurs, tout verbe requiert un préfixe sujet, lequel distingue entre les modalités realis et irrealis.

Tableau 4 – Formes pronominales en teanu

4. Bibliographie

François, Alexandre. 2005. A toponymic map of Vanikoro. Publication électronique. Paris: CNRS. 

François, Alexandre. 2008. Mystère des langues, magie des légendes. In Le mystère Lapérouse ou le rêve inachevé d’un roi, edited by Association Salomon. Paris: de Conti, Musée national de la Marine. 230-233.

François, Alexandre. 2009. The languages of Vanikoro: Three lexicons and one grammar. In Bethwyn Evans (ed). Discovering history through language: Papers in honour of Malcolm Ross. Pacific Linguistics 605. Canberra: Australian National University. 103-126.

François, Alexandre. 2014. Person syncretism and impersonal reference in Vanikoro languages. Exposé au colloque Syntax of the World's Languages (SWL6), Università di Pavia. 

François, Alexandre. 2021. Online Teanu–English dictionary, with equivalents in Lovono and Tanema. Publication électronique. Paris: CNRS  [https://tiny.cc/Vanikoro-dict].

Tryon, Darrell. 1994. Language contact and contact-induced language change in the Eastern Outer Islands, Solomon Islands. In Tom Dutton & Darrell Tryon (eds.), Language Contact and Change in the Austronesian World, 611–648. Berlin: Mouton de Gruyter.

Tryon, Darrell. 2002. Buma. In John Lynch, Malcolm Ross & Terry Crowley (eds), The Oceanic languages (Curzon Language Family Series 1), 573–586. London: Curzon.

Pour en savoir plus sur les langues de Vanikoro : https://tiny.cc/Vanikoro-lgs.

Voici comment vous pouvez citer cette archive Pangloss :

François, Alexandre. 2021. Archive d’enregistrements de terrain dans la langue teanu. Collection Pangloss. Paris: CNRS.