L’île ronde de Gaua est dominée par son volcan central, connu en anglais sous le nom de Mont Garet (
Garat en olrat), et par le lac qui s'est formé dans sa caldeira (lac Letas en anglais,
Lē Tas en olrat).
Gaua abrite une vingtaine de villages ou hameaux, dispersés autour de sa côte circulaire. Ses six langues forment une chaîne dialectale (Kalyan & François 2018) que l’on peut citer, dans le sens des aiguilles d'une montre, comme
nume –
mwerlap –
dorig –
koro –
olrat –
lakon.
Comme le suggère cette liste, l’olrat est intermédiaire entre le koro et le lakon, à la fois en termes géographiques et linguistiques. Il était autrefois parlé dans un petit hameau intérieur appelé Olrat, dans le coin sud-ouest de Gaua – à peu près à mi-chemin entre Kōrō et Jōlap [voir carte]. Olrat est aussi appelé
Viar.
L’affaiblissement considérable de la langue olrat est semblable à ce qui s'est passé pour le
lemerig ou le
mwesen, plus au nord : ils résultent de la reconfiguration historique des peuplements qui suivit le contact avec les étrangers et les missionnaires (François 2012). Au début du XX
e siècle, les locuteurs de l’olrat quittèrent leur hameau dans les hauteurs de l’île, du fait de l’incitation à vivre dans les villages plus importants de la côte. Certains habitants ont également subi les épidémies, et d'autres ont été recrutés dans les plantations, soit au Vanuatu, soit en Australie (Blackbirding).
En 2003, la langue était encore parlée par trois personnes. Malheureusement, ces derniers sont décédés les années suivantes, sans transmettre leur langue aux prochaines générations.
-
Le corpus olrat
2.1. Les dernières années de la langue olrat
Au cours de son enquête sur les langues de Gaua en août 2003, Alexandre François a passé deux semaines dans le village de Jōlap, dans la famille du chef, où la langue dominante était le lakon. Cependant, il est vite devenu évident que le village, et en particulier cette famille, étaient en fait plurilingues. S’il est vrai que le chef Henry parlait le lakon, sa femme parlait le mwerlap, et leurs enfants étaient bilingues. Mais surtout, le père de Henry, Maten Womal, âgé d'environ 65 ans, parlait encore une autre langue “des montagnes” – appelée olrat.
Après avoir quitté son village natal d'Olrat dans les années 1960 (?), Maten s'était installé dans le village côtier de Jōlap, et s'y était marié ; d'autres personnes ont fait de même, si bien qu’Olrat devint vite un hameau abandonné dans la forêt. Plus tard, avec la disparition des autres locuteurs de l’olrat, Maten s’est progressivement mis à employer la langue lakon au jour le jour, avec sa famille et ses voisins. Cependant, il n'a jamais oublié sa langue maternelle – pas plus que les mythes et les histoires qu’on lui avait narrés dans sa jeunesse. Maten parlait parfois olrat avec d'autres personnes à Jōlap qui pouvaient aussi le parler, ou du moins le comprendre ; d’ailleurs, il n’était pas rare qu’il continue de parler olrat tout en recevant des réponses en lakon –les deux langues étant suffisamment proches pour que chacun puisse continuer à parler sa propre langue.
2.2. Les archives olrat
Grâce à un questionnaire spécialement conçu (François 2019), François put rapidement apprendre de Maten Womal l'essentiel de sa langue – suffisamment pour comprendre ses structures de base, et pour collecter une partie de la littérature orale traditionnelle.
Maten Womal était un conteur prolifique : en une seule soirée, il pouvait proposer six récits, sans se lasser le moins du monde. Deux de ces contes – connus localement sous le nom de Ususraa pulē Maraw “Histoires de l'araignée” (François 2013 : 222) – sont ici transcrits et traduits :
À ces récits, on peut également ajouter un récit de vie narré par Maten au sujet de John Young, l'un de ses ancêtres, lequel avait été enlevé par un navire de recrutement pour aller travailler au Queensland :
Sur la base de son travail de transcription et d'interprétation, François a publié deux livres en olrat, au format monolingue, destinés à doter les jeunes générations de matériels d’alphabétisation dans leur langue maternelle :
La deuxième catégorie de ressources présentées dans cette archive olrat est un ensemble de pièces musicales enregistrées dans le village de Jōlap, le 26 août 2003 – lors de la fête de la Saint-Barthélemy, fête paroissiale de la côte ouest de Gaua. Plusieurs sont issus de la danse Magh exécutée par les jeunes hommes. Cependant, la principale pièce présentée ce jour-là était une danse des femmes appelée Leng. Celle-ci était accompagnée du Chant du Grand ouragan – poème composé en langue olrat en 1972, quand l'île de Gaua venait d’être dévastée par le cyclone Wendy. Cette performance chantée a d’ailleurs été, par la suite, reprise dans notre publication discographique des meilleurs enregistrements ethnomusicologiques du nord du Vanuatu (François & Stern 2013) – voir pp. 40-41 dans notre livret de CD.
-
Bibliographie
Pour plus d’informations sur le nord du Vanuatu, visitez http://alex.francois.online.fr. Voici quelques publications permettant de situer le olrat dans son contexte :
François, Alexandre. 2012. The dynamics of linguistic diversity: Egalitarian multilingualism and power imbalance among northern Vanuatu languages. International Journal of the Sociology of Language 214, 85–110.
— 2013. Shadows of bygone lives: The histories of spiritual words in northern Vanuatu. In Robert Mailhammer (ed.). Lexical and structural etymology: Beyond word histories. Studies in Language Change. Berlin: DeGruyter Mouton. 185-244.
François, Alexandre & Sawako François. 2011a. Valvalaw men Ōlrat – Our language Olrat. Monolingual in Olrat. Illustrated by Sawako François. Port-Vila: Alliance Française. 36 pp.
— 2011b. Ususraa pule maraw men Ōlrat – Traditional stories in Olrat. Monolingual in Olrat. Illustrated by Sawako François. Port-Vila: Alliance Française. 32 pp.
Kalyan, Siva & Alexandre François. 2018. Freeing the Comparative Method from the tree model: A framework for Historical Glottometry. In R. Kikusawa & L. Reid (eds), Let's talk about trees: Genetic Relationships of Languages and Their Phylogenic Representation (Senri Ethnological Studies, 98). Ōsaka: National Museum of Ethnology. 59–89.
Voici comment vous pouvez citer cette archive Pangloss :
François, Alexandre. 2022. Archive d’enregistrements de terrain dans la langue olrat. Collection Pangloss. Paris: CNRS.