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La langue lemerig
« Lemerig » est le nom de la zone montagneuse au nord de l’île de Vanua Lava. La langue du même nom était parlée par une petite population – probablement jamais plus de 100 personnes – dans les hameaux dispersés dans cette région. La même langue est égale¬ment connue sous les noms de « Päk » (ou Bek ou Abek), d'après le nom d'un village côtier ; elle est également mentionnée comme « Sasar » dans certaines sources, nom d’un autre village.
Au début du 20e siècle, les locuteurs du lemerig ont quitté leurs hameaux, cédant à la pression de vivre dans les plus grands villages du sud de l'île (Vera'a, Vetubōsō, Sola). Certains habitants furent recrutés dans les plantations, soit au Vanuatu soit en Australie (Blackbirding), d’autres ont subi les épidémies. Tout cela s'est traduit par le déclin rapide de la langue lemerig (François 2012).
Au cours des dernières décennies, les locuteurs ont cessé de former une communauté, lorsqu’ils se sont dispersés dans différents villages autour de Vanua Lava. Dans les années 1990 et 2000, certains locuteurs résidaient ainsi sur la côte est (Lalngetak), d'autres à l'ouest (Vera'a), d'autres au sud (Mwesen), d'autres au nord (Päk)… Ces derniers locuteurs ont désormais adopté d’autres langues – qui le vera'a, qui le mwotlap –, et ne se souviennent désormais du lemerig que comme d’une langue entendue dans leur enfance, dans les années 1940-1950.
Il est difficile d’estimer exactement combien d'individus connaissent encore suffisamment la langue pour être considérés comme des locuteurs. Au début des années 2000, le lemerig comptait une poignée de locuteurs âgés, mais la plupart sont désormais décédés. Il semble que deux ou trois personnes vivent aujourd'hui, qui sont locuteurs ou semi-locuteurs de la langue.
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Le corpus lemerig
Alexandre François a découvert par hasard l'existence du lemerig en juin 1998, alors qu'il enregistrait les derniers locuteurs du mwesen, une autre langue menacée de la côte sud-est de Vanua Lava. Joj Lorin, l'un de ses professeurs de mwesen, se souvenait aussi d'une autre « langue des montagnes », le lemerig : adolescent amoureux d’une femme du nord, il avait appris sa langue, dans les années 1940. François a enregistré auprès de lui quelques minutes de cette langue. (Joj Lorin est décédé l'année suivante.)
Quelques années plus tard, en 2003, François est retourné à Vanua Lava en quête d'autres locuteurs du lemerig. Il en rencontre d'abord deux à Vera'a (côte ouest), Bes Tabeva et Rogen, qui narrent des histoires brèves. Puis François a marché jusqu'à Lalngetak, hameau isolé à l'autre bout de Vanua Lava, où il fait la rencontre de Wolta Robin. Dernier conteur de la langue lemerig, Robin lui a raconté deux mythes :
Ce dernier récit est l'une des versions les plus vivantes et les plus réussies que nous ayons enregistrées du célèbre mythe des îles Banks. (Wolta Robin est décédé l'année suivante.)
Enfin, une troisième expédition en 2006 a permis à François de rencontrer Taitus Sërortēlsöm, l'un des tout derniers locuteurs de la langue. Taitus ne racontait pas d'histoires, mais il était capable de fournir des données linguistiques de grande qualité. Il a également aidé à transcrire la longue histoire de Kpwet enregistrée en 2003. (Taitus est également décédé l'année suivante.)
Sur la base de ce travail minutieux de transcription et d'interprétation, François a écrit le tout premier livre en langue lemerig, au format unilingue, dans l’espoir de garder la mémoire de la langue pour les générations futures : Nvāv 'ām 'a Lēmērig – Histoires traditionnelles en Lemerig (Vanua Lava).
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Notes sur la langue
3.1. Orthographe
L’orthographe proposée pour transcrire la langue lemerig correspond à l’ordre alphabétique suivant :
{ a ā ä e ē ë g i k l m m̄ n n̄ o ō ö p q r s t u v w ’ }.
Chacune de ces lettres correspond à un phonème de la langue.
Le lemerig a 15 consonnes phonologiques. Le tableau suivant indique ces phonèmes (alphabet phonétique), puis la convention orthographique est indiquée entre parenthèses. Par exemple, la lettre ‹q› dans l'orthographe encode l’occlusive labiovélaire /k͡pʷ/.
Tableau 1 – Les 15 consonnes du lemerig
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labiovélaire
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bilabiale
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alvéolaire
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vélaire
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glottale
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Occlusive sourde
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k͡pʷ ‹q›
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p ‹p›
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t ‹t›
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k ‹k›
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ʔ ‹’›
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Fricative
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β [β,ɸ] ‹v›
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s ‹s›
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ɣ ‹g›
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Nasale
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ŋ͡mʷ ‹m̄›
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m ‹m›
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n ‹n›
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ŋ ‹n̄›
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Latérale
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l ‹l›
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Vibrante
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r ‹r›
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Semi-consonne
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w ‹w›
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Le lemerig a 11 voyelles, toutes brèves.
Table 2 – Les 11 voyelles du lemerig
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antérieure
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postérieure
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étirée
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arrondie
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fermée
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i ‹i›
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u ‹u›
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mi-fermée
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ɪ ‹ē›
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ø ‹ö›
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ʊ ‹ō›
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mi-ouverte
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ɛ ‹e›
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œ ‹ë›
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ɔ ‹o›
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pré-ouverte
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æ ‹ä›
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ɒ̝ ‹ā›
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pré-ouverte
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a ‹a›
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3.2. Pronoms personnels
Les pronoms personnels du lemerig distinguent quatre nombres : singulier, duel, triel, pluriel. Par ailleurs, ils suivent strictement le contraste entre «nous inclusif» [= vous + moi + autres] et «nous exclusif» [moi + autres]. Ainsi, le pronom gätru “1inclusif: duel” signifie «toi + moi», alors que kamaru “1exclusif: duel” implique «quelqu’un (autre que toi) + moi», c'est-à-dire «moi et lui/elle».
Les pronoms indépendants, listés dans le tableau suivant, peuvent servir de sujets, objets du verbe, régime de prépositions.
Tableau 4 – The pronoms personnels indépendants du lemerig
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singulier
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duel
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triel
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pluriel
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1 inclusive
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gätru
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gät’öl
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gät
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1 exclusive
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në
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kamaru
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këmëm’öl
|
këmëm
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2
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näk
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kumru
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kimi’öl
|
kimi
|
3
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ti
|
täru
|
tär’öl
|
tär
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(1)
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Në
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ge
|
gālāl
|
näk,
|
pa
|
näk
|
e’
|
gālāl
|
qäl
|
në
|
’ä.
|
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1sg
|
stat
|
know
|
2sg
|
but
|
2sg
|
neg₁
|
know
|
neg₂
|
1sg
|
neg₃
|
|
‘Je te connais, mais tu ne me connais pas.’
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(2)
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Täru
|
me
|
’og ’og
|
mi
|
këmëm.
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3du
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fut
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stay:redup
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with
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1exc:pl
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‘Ils (deux) resteront avec nous.’
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Bibliographie
Pour plus d’informations sur le nord du Vanuatu, visitez http://alex.francois.online.fr. Voici quelques publications permettant de situer le lemerig dans son contexte :
François, Alexandre. 2011. Social ecology and language history in the northern Vanuatu linkage: A tale of divergence and convergence. Journal of Historical Linguistics 1 (2). 175-246.
François, Alexandre. 2012. The dynamics of linguistic diversity: Egalitarian multilingualism and power imbalance among northern Vanuatu languages. International Journal of the Sociology of Language 214, 85–110.
François, Alexandre & Taitus Sërortēlsöm. 2006. Nvāv ‘ām 'a Lēmērig — Storian long lanwis blong Lemerig (Vanua Lava). Collection of stories from the oral tradition, monolingual in Lemerig. Paris.
Kalyan, Siva & Alexandre François. 2018. Freeing the Comparative Method from the tree model: A framework for Historical Glottometry. In R. Kikusawa & L. Reid (eds), Let's talk about trees: Genetic Relationships of Languages and Their Phylogenic Representation (Senri Ethnological Studies, 98). Ōsaka: National Museum of Ethnology. 59–89.
Tryon, Darrell. 1976. New Hebrides Languages: An internal classification (Pacific Linguistics, C-50). Canberra: Australian National University.
Voici comment vous pouvez citer cette archive Pangloss :
François, Alexandre. 2021. Archive d’enregistrements de terrain dans la langue lemerig. Collection Pangloss. Paris: CNRS.