Vue du lac Lugu depuis le belvédère côté Sichuan. La montagne en fond est la montagne Gemu, une montagne sacrée dans la culture Na (01/12/2019).
La langue na (endonyme : /nɑ˩-ʐwɤ˥/, litt. « parler na ») de Lataddi /lɑ˥tʰɑ˥di˩/, ou parfois dite de Shekua /ʂɯ˥qʰwæ˥˩/ (Shekua est un village au bord de la mer de roseaux (cǎohǎi, ou Grass Sea) dont la langue, commune à celle de Lataddi a fait l’objet d’un thèse en phonologie (Fily, 2022)) est parlée à la frontière des provinces chinoises du Yunnan et du Sichuan, sur les bords du lac Lugu. Elle appartient au groupe naish de la famille sino-tibétaine, qui comprend également le naxi et le lazé, et est une langue régionale parlée également à Yongning (dans une variété différente) et dans certaines zones montagneuses alentour (Lijiazui, Lataddi, Labai). Entre Yongning et Lataddi, il y a donc 60 km de distance. Quelques particularités lexicales/tonales séparent également ces parlers. Ces différences, perçues localement même si l’intercompréhension entre Lataddi/Shekua et Yongning est globalement possible, forgent une identité linguistique très localisée des na. Lors d’entretiens informels interrogeant le continuum linguistique na en synchronie, nos locuteur nous disent qu’ils voient entre Yongning et Shekua des « différences d’accent » (« 发音不一样 »). Les délimitations que la littérature suggère (Lidz, 2010 , Michaud, 2017 , Dobbs & La, 2016 , A, 2016 , Fily, 2022) tracent une ligne entre Xiao Luoshui 小落水 (27,74402 ; 100,77081) et Da Luoshui 大落水 (27,67722 ; 100,76796). Au N-NW de cette ligne, le dialecte de Yongning prévaut, tandis qu’au S-SE de cette même ligne le dialecte de Lataddi prévaut. Le na de Shekua est une variété considérée dans la zone de Lataddi. Il diffère du na de Yongning par son système tonal organisé sur deux hauteurs, contre trois à Yongning. Le na est parlé officiellement par 47 000 personnes, mais au quotidien seules les personnes adultes l’utilisent dans la mesure où pour les enfants l’approche éducative, faite exclusivement en mandarin depuis deux ou trois générations, repose sur un usage exclusif du mandarin à l’écrit et à l’oral.
Les parlers na se situent tous sur la rive gauche de la rivière Jinsha (金沙江), c’est à dire dans l’aire orientale de la région autonome de Lijiang, à cheval entre le comté de Ninglang au Yunnan et le comté de Liangshan au Sichuan. Cette classification « commence » avec un travail de documentation des linguistes Hé Jírén et Jiāng Zhúyí (Hé & Jiāng, 1985) qui utilisaient à l’époque les termes « Naxi de l’Est » pour les Na et « Naxi de l’Ouest » pour les actuels Naxi. Depuis, les travaux de documentation ont progressé en nombre et en précision, et deux ethnies, deux langues sont reconnues (naxi et na).
Les parlers na se situent tous sur la rive gauche de la rivière Jinsha (金沙江), c’est à dire dans l’aire orientale de la région autonome de Lijiang, à cheval entre le comté de Ninglang au Yunnan et le comté de Liangshan au Sichuan. Cette classification « commence » avec un travail de documentation des linguistes Hé Jírén et Jiāng Zhúyí (Hé & Jiāng, 1985) qui utilisaient à l’époque les termes « Naxi de l’Est » pour les Na et « Naxi de l’Ouest » pour les actuels Naxi. Depuis, les travaux de documentation ont progressé en nombre et en précision, et deux ethnies, deux langues sont reconnues (naxi et na).
Se désignant par l’autonyme Na ou bien la dénomination plus administrative Mosuo, les Na sont un peuple avec une organisation en villages constitués de maisonnées pouvant compter jusqu’à une vingtaine de membres, et dont l’activité traditionnelle est le fermage (culture du maïs, des pommes de terre, élevage de cochons). Le nombre de personnes d’une maisonnée est traditionnellement chez les Na une indication de la bonne santé, de la « richesse » d’une famille. La hiérarchie familiale est organisée selon un modèle matrilinéaire et matrilocal qui reconnaît l’existence des pères et conjoints, sans pour autant les inclure dans la représentation de la maisonnée ou dans la chaîne de transmission (Milan, 2021). Le devenir de la maisonnée est traditionnellement lié à la femme la plus âgée du foyer, qui transmet son matrimoine aux femmes de sa lignée, à commencer par sa fille la plus âgée. Notre locutrice AS, qui est la « matriarche » dans la maisonnée, espère le retour sur les berges du lac Lugu de ses filles parties travailler à la ville. Sans cela, elle devra décider qui des femmes de la maisonnée peut prendre sa suite à la tête de sa maisonnée.
Photo de notre famille d’accueil (01/12/2019).
Notre locutrice AS est entourée de la compagne de son fils (/ʈʂʰv̩˥mi˥/ 'compagne'), et de ses petits enfants. Yumu, petite fille aînée, pourrait hériter de la maisonnée si les filles de AS restent vivre à la ville.
Dans le cas inverse d’héritières multiples, une femme ayant commencé à former une lignée sera ainsi amenée à construire sa propre maisonnée si elle ne peut pas prétendre à reprendre la maisonnée principale. Elle installera sa maisonnée souvent sur une terre adjacente à la maisonnée dont elle est elle-même issue. Ces évolutions sont décrites avec force précisions par Pascal-Marie Milan, dont le travail sur les maisonnées Na présente un intérêt ethnographique considérable.
Individuellement, les maisonnées suivent toutes le même schéma, avec toujours les mêmes bâtiments aux mêmes endroits. Une maisonnée na est organisée autour d’une cour comprenant pour moitié un espace réservé aux hommes et aux femmes pour vivre, faire la vaisselle, la lessive, le vannage, l’équarrissage, etc. et une partie réservée aux cochons /bo˩bv̩˥/, pour leur permettre de passer du temps en plein air.
Vue depuis les chambres de la cour intérieure de notre maisonnée d’accueil (26/09/2019).
Cette photographie représente l'intérieur de la pièce principale d'une maisonnée Na, avec le foyer, surmonté de son trépied, sur lequel cuisent les pommes de terre (26/09/2019). En général, l’eau bout en permanence quand le feu est allumé. L’eau ainsi bouillie est stockée ensuite dans des thermos de grande capacité afin de conserver l’eau chaude, pour le thé ou la consommation nature.
Autour de la cour centrale, on trouve sur un côté la pièce principale /ʑi˥mi˩/, la cuisine /ʑi˩ʁæ˥/ (où l’on prépare à la fois la nourriture des hommes et celle des bêtes), et le cellier /ʑi˩ʈʰæ˥/. De part et d’autre de cette pièce principale se trouvent d’un côté les chambres et une pièce à vivre réservée aux évènements (une salle de banquets) et de l’autre les enclos à cochons /bo˩bv̩˥/, poulailler /æ̃˩bv̩˥/ et les latrines (appelées très sobrement « dehors » /ɑ˩pʰo˥/). Depuis le plan de modernisation des campagnes engagé au début des années 2010, un coin de la propriété accueille une salle de bain avec sur le toit un chauffe-eau solaire. Cet appareil est fourni à chaque famille de la région dans un effort des autorités pour apporter le confort permis par la technologie aux campagnes.
Avant l’avènement de la République Populaire de Chine, la société Na pratiquait des activités agricoles dont une part servait à leur subsistance et une part servait au paiement de l’impôt exigé par les seigneurs locaux (les Tusi). Depuis l’abolition de ce type de pratiques, l’agriculture de subsistance perdure. Les Na élèvent également des animaux de ferme (cochons, poules), pour lesquels ils cultivent des parcelles de maïs. Notre famille d’accueil cultive, très classiquement pour la région, des pommes de terre pour la consommation humaine, du xanthoxyle dont une partie est revendue et une partie sert à l’assaisonnement des viandes, et un potager contenant toutes sortes de légumes. Le lac Lugu bénéficie d’un micro-climat clément pour l’altitude (2600m), en raison du lac qui agit comme un tampon aux extrêmes de température, réchauffant l’hiver et rafraîchissant l’été.
Une femme Na récolte des pommes de terres sur la parcelle devant sa ferme (03/10/2019).
Du point de vue de son ancrage socio-culturel actuel, le lac Lugu (au bord duquel se trouve le village de Shekua) et la ville de Zuosuo (région de Lataddi), avec à mi-chemin le pont des mariages ambulants (走婚桥) et la mer de roseaux (草海, cǎohǎi, litt. la mer d’herbes), sont depuis quelques années un lieu touristique en croissance. Seuls les bateaux à rames sont autorisés sur le lac, qui servent traditionnellement à la pêche et à l’exploitation du lac (voir la photographie intitulée « collecte d’algues lacustres »), et qui aujourd’hui sont de plus en plus exploités pour le tourisme. Les Na et les Yi se partagent les ports où les touristes embarquent pour des croisières de quelques heures tout au plus.
Barque en auge à cochons ancrée sur Cǎohǎi, la mer de roseaux (29/09/2019).
Collecte d’algues lacustres (probablement Ottelia Acuminata) par des bateliers sur la mer de roseaux (01/12/2019).
À Shekua, l’ouverture de la route le long de la rivière Jinsha ainsi que celle de l’aéroport provoquent un afflux de visiteurs bien plus brutal que nulle part ailleurs en pays Na, avec les conséquences qu’on imagine sur la vie locale. Sur les bords du lac, les constructions d’hôtels, de pensions, de restaurants se succèdent. Ce sont dorénavant les seules nouvelles constructions autorisées en bord de lac.
Photographie prise sur la route reliant Lijiang et le lac Lugu, une route plus sûre que l’ancienne, qui rend la circulation plus sûre entre la capitale administrative et le lac, sécurisant la venue des touristes dans la région (05/12/2019).
En 2019, le rythme était assez soutenu du point de vue des nouvelles constructions, qu’elles soient de maisons particulières ou d’hôtels. Pour ces derniers, le travail est entrepris parfois par des familles locales souhaitant se tourner vers le tourisme, parfois par des investisseurs originaires des grandes métropoles de Chine. Le tourisme au lac Lugu se met en place en entrant directement dans un tourisme de villégiature, contrairement à Yongning, qui, avec son marché, son temple et ses multiples communautés, est une cité qui est attractive au plan culturel et commercial.
Salutations au Buddha à l'entrée du monastère de Yongning (27/09/2019).Vue d'un hall secondaire du monastère de Yongning (27/09/2019).
Sortie du monastère de Yongning (27/09/2019).Un marchand grille une tête de cochon au marché municipal (27/09/2019).
Les quatre photographies qui précèdent ont été prises à Yongning, le centre administratif de la région, où nous nous étions rendus à l’occasion de procédures administratives à notre arrivée sur le terrain. Sur les trois premières, notre visite au monastère de Yongning avec notre informatrice et co-auteur Ā Huì. Sur la dernière, un marchand grille une tête de cochon au marché municipal.
La société na est toujours perçue comme le « royaume des femmes » car c’est ainsi qu’elle est désignée à l’extérieur : c’est un mythe sur lequel s’appuient les promoteurs de la région, afin de rajouter de l’exotisme pour les visiteurs. Milan (2019, 294) illustre par exemple comment le texte introductif au lac Lugu présente la société Na : « le dernier royaume des filles au monde » (texte original : “世界最后的女儿国”), alors même que la « société sans père ni mari » décrite par Cai Hua (Cai, 1995) semble n’être qu’une facette très incomplète de la vie des Na. La vérité est plus complexe : par exemple, si les visites nocturnes existent entre jeunes, sans enfants, et qu’il existe une liberté de se fréquenter entre garçons et filles plus grande que dans nos sociétés ou la société chinoise confucianiste, en revanche dès qu’il y a naissance d’enfants, le lien entre une femme et un homme devient officiel : l’homme prend une place dans la famille de la femme (Le Hrantchuba. Voir Milan, 2019), et est identifié comme amant de la femme et géniteur de l’enfant. Dans une volonté de montrer que, loin d’être ce « fossile vivant » de société matriarcale, la société Na est « comme les autres » de ce point de vue, on célèbre des mariages en pays Na (voir Figure ci-après), qui deviennent désormais une manière pour les Na de montrer qu’ils sont nos contemporains, que leurs mœurs s’inscrivent dans une époque actuelle, moderne. C’est ce que montre Pascale-Marie Milan dans sa thèse (ibid.).
Des amies lancent les danses traditionnelles Na à l’occasion d’un mariage (18/11/2019).
La société Na évolue donc avec son temps. Le mariage civil (officiel) a donc trouvé sa place dans la société Na et les femmes et les hommes s’intègrent dans la République Populaire de Chine, en participant notamment à la vie économique : métiers dans la construction, le commerce, l’éducation... Le maintien d’une activité d’agriculture vivrière ou d’élevage est souvent le fait des générations plus âgées aujourd’hui, recourant aux générations plus jeunes ou à des moyens mécaniques (tracteurs, broyeurs) à des moments clés de la saison (semis, récoltes). On espère pour la transmission des traditions, de la langue, que ces activités se transmettront aux membres des jeunes générations actuelles, qui si elles partent parfois chercher un avenir différent ailleurs, nous laissent espérer qu’elles reviendront plus tôt que ne le dit le proverbe chinois « la feuille morte tombe sur les racines » (落叶归根). Dans la famille de AS, notre première locutrice, les enfants sont tous partis pour peu à peu revenir. Profitant du boom de la construction, son fils est parti dans le Nord travailler dans le domaine du bâtiment, et est revenu fonder une famille dès que cela a été possible. Les filles de AS, après quelques expériences loin du foyer, sont à présent à Lijiang, la capitale culturelle de la région. On espère peu à peu les voir revenir sur les berges du lac Lugu, assurer la pérennité de la maisonnée à mesure que notre locutrice prend de l’âge et du repos.
Notre locutrice AS avec ses petits enfants le jour d’une séance photo, alors que notre terrain se termine (30/11/2019).
Au plan matériel, les Na jouissent encore d’un statut particulier. Une maisonnée Na traditionnelle n’a pas toutes les contraintes des nouvelles constructions individuelles de la région (e.g. limitations en surface), et les fermes ainsi que les activités autour perdurent. Notre famille d’accueil se trouve dans une ferme traditionnelle, faite en piliers de bois, bardage et tuiles, le potager se trouve dans la propriété et les champs dans lesquels elle fait pousser la production agricole se trouvent dans les alentours : une parcelle de maïs, une de pommes de terre, une de xanthoxyle (poivre de Sichuan).
Récolte du maïs destiné à l’alimentation des cochons (11/10/2019). Les épis sont séparés des tiges sur place, mis en sac et rapportés à la maisonnée pour séchage. Les tiges sont utilisées pour le paillage du potager, voire même le voilage de certaines parcelles.Notre locutrice AS et sa fille trient l’herbe à cochon coupée dans leur petit verger à poivrier du Sichuan (zanthxylum piperitum) (03/10/2019).
Vue en plongée des champs en bordure du lac Lugu (03/10/2019). Ici, la récolte se fait à la main, avec l’aide des voisins. On peut voir ici les parties de champs ayant déjà été récoltées et celles à venir. Selon un principe d’entraide réciproque, les récoltes du maïs se font à tour de rôle vers la mi-automne.
Les documents proposés ici sont le fruit d’un recueil aux villages de Shekua et Lataddi. Les données du na de Shekua ont fait l’objet d’une thèse écrite selon les principes de la science ouverte, c’est-à-dire que ces données, disponibles à la consultation et au téléchargement, sont référencées dans le manuscrit de thèse (disponible ici).
Parmi ces documents, nous retrouvons des enregistrements de séances d’élicitation relatives au premières explorations lexicales et grammaticales de notre premier terrain, puis aux séances axées sur l’étude du système tonal, rapidement identifié comme le « gros morceau » de la phonologie du na. L’accent dans ce recueil a été mis sur la documentation d’un parler, avec pour objectif une approche comparative entre les différents parlers na, différents surtout au plan tonal. Une partie des recueils est donc constituée de listes de mots à l’isolée, en phrase porteuse et en contexte d’entretiens non guidés, recueillis en s’appuyant sur des listes déjà établies pour le na de Yongning (Michaud, 2018). Ces listes de mots ont été enregistrées en utilisant trois types de supports visuels : imagiers, animations 2D, photographies de la région.
En dehors de ces séances très orientées phonologie, nous avons enregistré ou récupéré quelques récits d’histoires pour enfants :
Pour le premier, nous avons proposé de travailler sur un livre imagé. En effet, probablement en raison de notre manque de maîtrise de la langue na, il semblait impossible à notre locutrice de raconter une histoire que son interlocuteur ne comprendrait pas. L’enquêteur que nous étions, trop embourbé dans ses questions phonologiques, n’a pas vu la simplicité qu’il y avait à exposer à sa locutrice les différentes étapes du recueil, où l’on commence par raconter, puis on continue en transcrivant et traduisant le travail effectué, arrivant in fine à un récit compris de tous. Ce sont les erreurs de jeunesse de l’enquêteur qui, n’ayant pas réussi à convaincre qu’un travail d’enregistrement de récits (que ce soit des contes, des anecdotes, des recettes) s’envisageait même si on ne comprenait pas toujours tout tout de suite, a fait contre mauvaise fortune bon coeur et a essayé d’amener à la narration en passant par le langage universel du dessin. Nous sommes donc partis sur la narration de Frog Where AreYou de Mercer Mayer, un classique de la linguistique de terrain. Frog Where Are You est illustré et donc nous pouvions « suivre à deux langues différentes ». Ce livre possède un contenu plutôt destiné aux enfants, fournissant ainsi un motif tout trouvé pour se plonger dans sa lecture (« c’est pour ma petite fille », disait AS, « on lui racontera plus tard »). Le sujet du livre, un enfant qui recherche sa grenouille de compagnie, est également bien tombé, car il s’avère que la grenouille dans la culture Na est un animal avec un statut particulier, comme en témoigne la présence de la grenouille dorée dans l’écriture pictographique (voir Figure ci-après).
Liste des pictogrammes na tels que présentés dans le musée Mosuo de Da Luoshui (大落水). Le pictogramme situé à la 10e ligne 2e colonne du tableau des pictogrammes représente la grenouille dorée /hæ̃˥ʂɯ˩po˩mi˩˥/, désignée par la translitération 汉博咪 (han bomi), ou haishi baomei chez les voisins Naxi.
La sacralité de la grenouille est partagée par les peuples Naxi et Na, qui l’un comme l’autre ne consomment pas cet animal, ni ne le chassent. L’histoire donc, autour de notre grenouille bien occidentale, décrit les pérégrinations dans la forêt d’un garçon et son chien, qui rencontrent tout un tas d’animaux qui existent également en pays Na (hibou, cerf, abeilles…). La découverte de ce conte, à deux, aura permis d’enclencher le travail en binôme locuteur-enquêteur et aura permis par la suite de passer à d’autres histoires. Le lien vers cette ressource est ici.
Suite à ce récit narré par AS, le discours qui consistait à dire « qu’est ce que je pourrais bien te raconter ? » a peu à peu disparu et une histoire de monstres, dont la Chine en général est très friande, nous a été promise. Nous n’avons pas compris pourquoi seuls les contes trouvaient grâce aux yeux de nos locutrices, car a priori tout est intéressant pour un linguiste phonéticien, mais il fallait semble-t-il nous raconter une histoire qui nous suspende à leurs lèvres, nous stupéfie. Les contes pour enfants, entendus dès la plus tendre enfance, semblent être dans notre famille comme une valeur sûre. Après quelques jours de négociations, nous avons pu enregistrer notre locutrice principale nous raconter une histoire de vampires. La traduction a été effectuée à l’aide de notre informatrice et co-auteur, Ā Huì.
Un peu à la manière des contes traditionnels pour effrayer les enfants, dont le lecteur francophone pourra retrouver des exemples dans Contes chinois racontés à Helen (Pimpaneau, 2007), l’histoire narrée par AS porte une morale cherchant à enseigner aux enfants l’obéissance, la méfiance. C’est l’histoire du vampire et des deux enfants, qui est un classique de la mythologie Naxi également. L’histoire raconte comment deux enfants se retrouvent confrontés à un monstre métamorphe au départ de leur grand-mère pour le marché. Ayant ouvert à ce vampire en dépit des conseils de la grand-mère de n’ouvrir à personne, ce conte aborde la question de l’obéissance aux consignes des adultes, des dangers de l’inconnu par opposition au cocon familial qui rassure. Deux enfants, un frère et une sœur, laissés par leur grand-mère, se retrouvent donc face à ce monstre qui prend les traits de la grand-mère pour les berner. Le plus jeune frère, un peu simplet, finit dans le ventre du monstre, tandis que la grande sœur arrive à s’échapper et à le berner en retour. La pauvre fille, une fois débarrassée du vampire, se retrouve à devoir échapper aux chasseurs qui l’ont secourue. Que ce soit chez Grimm ou dans la mythologie Na, rien n’est simple pour les enfants des contes de fées.
La parole dans ce conte enregistré une seule fois est un peu scandée, avec répétition à chaque péripétie d’une amorce dans le style des conteurs (« il était une fois »), ce qui pourrait peut-être indiquer non pas une stratégie de conte mais plutôt une forme de trac face à l’enregistreur : soudain, on va nous prendre au mot ! D’autres enregistrements de cette même histoire pourraient lever le doute sur ce point et nous permettre d’obtenir des enregistrements plus fluides.
Une autre histoire, celle du lapin désinvolte, avait été enregistrée lors d’un précédent terrain par notre informatrice et co-auteur Ā Huì, qui s’était enregistrée elle-même à l’occasion d’un séjour de recherche à Hanoï, encadré par Alexis Michaud. Ce conte raconte pourquoi le lapin a de grandes oreilles. Les histoires téléologiques, qui expliquent l’origine des attributs des animaux ou des marques géographiques sont aussi probablement un universel de la narration, de Papeete à Kinshasa. On raconte donc, dans cette histoire, que dans le temps, les lapins étaient semblables aux renards. Un jour, l’un d’eux en vient à tuer un enfant et de fil en aiguille en arrive à le donner à manger à sa mère, tout cela parce qu’au départ l’enfant pleurait trop fort et importunait le lapin. Une fois son forfait commis, le lapin revenait narguer la mère, qui un jour l’a piégé en l’engluant dans de la résine de pin. Elle lui aurait tellement tiré dessus que ses oreilles seraient devenues ce qu’elles sont aujourd’hui. Le lapin s’en sort à la fin, en bernant à nouveau la mère qui décidément n’est pas une lumière.
On imagine mal quelle morale on peut tirer de ce type d’histoires, mais les contes merveilleux (classification de Aarne & Thomson, 1916) sont ainsi faits, qu’ils racontent des histoires affreuses aux enfants pour qu’ils se tiennent sages. Celui-ci met en avant la bêtise de cette mère dont profite le lapin, et enseigne peut-être la méfiance, comme le conte précédent. Ce conte est enregistré avec un débit de parole très important, il serait intéressant de réitérer l’enregistrement en ralentissant ce débit.
Une partie des livres emportés sur le terrain par sécurité auront finalement servi à deux choses : fournir un support pour les élicitations (corps humain, éléments naturels, émotions) et amorcer un travail d’enregistrement de textes. Ce travail enclenché aura permis par la suite de collecter d’autres récits. Des terrains futurs devront être effectués pour compléter l’inventaires d’enregistrements, car même si le récit est de facto de la parole connectée, elle n’est pas pour autant parfaitement spontanée, et la prosodie associée à la narration notamment n’est pas la même que celle du quotidien, car « dès qu’il y a un effort pour bien dire et pas uniquement pour dire, il y a effort littéraire » (Mauss, 1969, 97). Cela peut évidemment être contre-productif pour les études phonologiques, en particulier les études tonales, et donc il est nécessaire d’adjoindre aux élicitations et aux récits des entretiens en parole spontanée. Les entretiens informels que nous avons eu avec AS, à propos de sa jeunesse dans les années 70, ou des habitudes cultuelles (rites de passage à l’âge adulte, offrandes aux divinités Lama, tours de Mani), qui nous ont été racontées en mandarin local, pourront faire l’objet d’entretiens de type « dialogue » lors d’un prochain terrain.
AS offrant de la nourriture aux divinités du lac, avec en fond la montagne Gemu (01/12/2019).
Après avoir offert du maïs tout en tournant autour de la tour de Mani, AS lance encore quelques poignées de grains en direction du lac.
Nous avons l’espoir que la description du na de Shekua apportera des éléments permettant de décrire des phénomènes tonals en cours d’évolution, en particulier lorsque nous pourrons effectuer des comparaisons en synchronie avec d’autres langues de la même aire linguistique (Yongning) ou d’aires linguistiques voisines (Lijiang, Fengke, Muli...). La description des systèmes tonals de cette région, avec leur grande variété, nous amène à nous interroger sur les mécanismes de changement linguistique tonals, encore mal compris.
Références :
Aarne, A & Thompson, S. (1961). The types of the folktales, a classification and bibliography.
Fily, M. (2022). Documentation, description et analyse phonologique du parler na (mosuo) de Shekua (Sichuan, Chine). Thèse de Doctorat de l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle.
Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, F.F., Communication 194.
Hé, J. & Jiāng, Z. (1985) Nàxīyǔ jiǎnzhì (A brief description of the Naxi language). The Ethnic Publishing House.
Lidz, L. A. (2010). A descriptive grammar of Yongning Na (Mosuo) (Thèse de doctorat).
Mauss, M. (1947) Manuel d'ethnographie. Paris.
Milan, P. M. (2019). Tourisme et changement social chez les Na de Chine: étude comparée d'une coutume sexuelle: le séssé.
Milan, P. M. (2021). Entraide et réciprocité chez les Na de Chine. Une lecture de la socialité na et de la centralité des maisons dans l’organisation sociale.Matrix: A Journal for Matricultural Studies, 2(1), 66-89.
Michaud, A. (2017). Tone in Yongning Na: Lexical tones and morphotonology (p. 573). Language Science Press.
Michaud, A. (2018). Na (Mosuo)-Chinese-French dictionary.
Pimpaneau, J. (2007). Contes chinois racontés à Helen. Paris, Jacques Picquier (éd.).
Ressources
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https://doi.org/10.24397/pangloss-0004836
00:06:33
Chinese translation of the 'Coming of age' narrative: after recording an account of his coming-of-age ceremony, in his native language, the consultant provides a summary in Mandarin Chinese
Dobbs, Roselle — Michaud, Alexis — La, Mingqing
La, Mingqing — Lǎ, Míngqīng — 喇明清
https://doi.org/10.24397/pangloss-0004837
00:10:42
Coming of age: the consultant looks back on how his coming-of-age ceremony was performed
Dobbs, Roselle — Michaud, Alexis — La, Mingqing
La, Mingqing — Lǎ, Míngqīng — 喇明清
https://doi.org/10.24397/pangloss-0004838
00:10:35
An exploratory recording of numeral-plus-classifier phrases: 1 to 10, with 9 different classifiers. Speaker M31, year 2015
Dobbs, Roselle — Michaud, Alexis — La, Mingqing
La, Mingqing — Lǎ, Míngqīng — 喇明清
https://doi.org/10.24397/pangloss-0004840
00:25:20
Lataddi Narua tone: recordings of materials set out in a journal article
Dobbs, Roselle — Michaud, Alexis — La, Mingqing
La, Mingqing — Lǎ, Míngqīng — 喇明清
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007681
00:04:17
Mother's Birthday
Dobbs, Roselle — Michaud, Alexis
Bbejjie Cisso Ddeema
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007855
00:07:32
First interview with AS. lexicon review: the missing items in Ferlus' vocabulary list
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007858
00:21:44
Second interview with AS. lexicon review: the missing items in Ferlus' vocabulary list
Fily, Maxime
A, Sadda — A, Hui
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007861
00:09:30
Lexical elicitations on the theme of the local agricultural produces and techniques
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007864
00:17:39
Lexical elicitations on the theme of animals, domesticated or not, and humans (gender, stage in life, close-family ties)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007867
00:08:46
Lexical elicitations on the theme of clothing, jewelry, food
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007870
00:14:51
Lexical elicitations on the theme of the village, house construction and furbishing
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007873
00:03:00
Numbers in association with people + Classifier (v̩˥ or kv̩˥)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007876
00:21:26
Lexical elicitations on the theme of colors, kinship, abstract verbs (want, seek, like)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007879
00:12:35
medical conditions/handicaps, quantities, Lama and Daba rites
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007882
00:04:55
Numbers in association with peach + Classifier (round objects, ɭɯ˩)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007885
00:08:02
Frog Where Are You : the story recorded
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007887
00:11:27
miscellaneous lexical items (isolation)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007890
00:22:20
Phonological elicitations of Ferlus's lexical items, in verb-terminal frame sentence (to_look)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007893
00:16:13
Phonological elicitations of Ferlus's lexical items, in verb-terminal frame sentence (to_look)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007896
00:11:40
Lexical elicitations on the theme of body parts, movement, action verbs, plant parts (and other)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007899
00:04:31
Phonological elicitations of Ferlus's lexical items, in verb-terminal frame sentence (to_look)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007901
00:06:37
Phonological elicitations of Ferlus's lexical items, in verb-terminal frame sentence (to_carry)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007904
00:07:57
Phonological elicitations of Ferlus's lexical items, in verb-terminal frame sentence (to_eat)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007907
00:04:11
Cardinal points (N, S, W, E) as the speaker remembers them
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0007909
00:08:03
Lexical entries collected from a first-words book
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008013
01:13:50
Lexical entries collected from a list of mono and polysyllabic elements in 3 contexts (Isol, +Copula, + Poss)
Fily, Maxime
A, Hui
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008103
00:03:14
Telerecorded corpus for the Durative + Verb + Progressive paradigm
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008105
00:04:31
Telerecorded corpus for the Negative + Verb + Experiential paradigm
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008107
00:19:55
Telerecorded corpus for a number of possessive constructions around animals (skin, meat, etc.)
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008109
00:02:26
Telerecorded corpus for possessive constructions : animal youngs
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008111
00:04:39
Telerecorded corpus for possessive constructions : animal meats
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008113
00:19:34
Telerecorded corpus for possessive constructions : animal skins
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008661
00:07:54
Folk Tale : the weresow
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008662
00:26:07
A Phonetic corpus on nasal vowels : AS on nov. 29
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008663
00:15:52
A Phonetic corpus on nasal vowels : AS on nov. 30
Fily, Maxime
A, Sadda
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008664
00:05:10
A Phonetic corpus on nasal vowels : RS on nov. 28 (part 1)
Fily, Maxime
Sadama
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008665
00:00:41
A Phonetic corpus on nasal vowels : RS on nov. 28 (part 2)
Fily, Maxime
Sadama
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008666
00:05:31
A Phonetic corpus on nasal vowels : RS on nov. 28 (part 3)
Fily, Maxime
Sadama
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008667
00:13:06
A Phonetic corpus on nasal vowels : RS on nov. 29
Fily, Maxime
Sadama
https://doi.org/10.24397/pangloss-0008668
00:14:57
A Phonetic corpus on nasal vowels : TLT on nov. 29