L'archipel du Vanuatu est très connu pour sa densité linguistique, l'une des plus élévées au monde : plus de cent langues différentes sont parlées sur quatre-vingts îles par moins de 200 000 habitants [carte 2]. Toutes ces langues appartiennent au groupe océanique des langues Austronésiennes et sont souvent appelées langues "mélanésiennes", bien que cette appellation corresponde à plusieurs groupes génétiques. L'araki appartient plus précisément à l'ensemble de langues que Clark (1985) a dénommé "Vanuatu Nord et Centre". À côté de leur langue maternelle, tous les habitants du Vanuatu parlent le pidgin bislama, de base anglaise ; mais cette lingua franca n'est majoritairement utilisée que dans deux villes, Port-Vila et Luganville, et rarement en zone rurale.

Carte 1. Localisation du Vanuatu dans l'océan Pacifique
La plus grand île de l'archipel est Santo ; c'est la plus proche d'Araki.

Carte 2 Vanuatu
La république du Vanuatu est constituée de plus de cent langues différentes,
appartenant toutes au sous-groupe Océanique de la famille Austronésienne.
L'araki, une langue en train de disparaître
Le nombre de locuteurs de l'araki a été donné par plusieurs auteurs : 80 (Tryon and Charpentier 1989) et même 105 (SIL 1983), mais ces chiffres ont été manifestement exagérés. Une étude sociolinguistique en profondeur de l'île (Varisipite and Bogiri-Vari 1998) montre que bien que 34 personnes affirment parler l'araki, la majorité d'entre eux ne l'utilisent pas habituellement. En fait, il y a eu une baisse importante du nombre de locuteurs depuis trois ou quatre générations, ce qui fait qu'il n'y a actuellement pas plus de quinze locuteurs qui comprennent et parlent araki couramment. La plupart d'entre eux sont nés entre 1920 et 1960, ce qui signifie que cette langue a cessé d'être utilisée au quotidien, dans la plupart des familles de cette île, il y a une quinzaine d'années.
Nombre de locuteurs : les chiffres officiels face à notre estimation
source
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population de l'île
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locuteurs, chiffre officiel
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locuteurs, notre estimation
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année
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Miller 1990
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103
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(103)
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(103)
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1897
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S.I.L.
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(105)
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105
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45 ?
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1983
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Tryon & Charp.
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112
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80
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30 ?
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1989
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Bogiri-Vari
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121
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34
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15
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1999
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L'araki n'est plus utilisé en public mais seulement dans un contexte privé. Cela explique pourquoi la langue a survécu dans certaines familles et pas dans d'autres. On le voit, par exemple, avec les dix enfants de Lele Moli et même avec certains des petits-enfants qui vivent avec lui : tous parlent très bien l'araki. Mais cette pratique étendue à trois générations est peu fréquente dans les autres clans familiaux.

Carte 3. Araki et l'île principale, Santo
Araki est une petite île située au sud de Santo, au Vanuatu.
Un mythe très connu raconte comme Araki s'est détachée de Hog Harbour
pour atteindre sa position actuelle, près de Tangoa et d'Elia (voir texte).
Textes araki
Mythe d'origine : l'île d'Araki
Vanuatu, Espiritu Santo, Luganville, 1997, Moli Lele, Alexandre François
Ce mythe raconte comment l'île d'Araki, qui se trouvait à côté de Hog Harbour (au nord-est de l'île de Santo), décida un jour de partir le long des côtes de l'île de Santo pour finalement s'installer à son emplacement actuel, au sud de Santo. Toujours selon le mythe, l'île emporta les femmes de Hog Harbour. C'est un indice intéressant qui permet de comprendre ce récit en s'appuyant sur des bases historiques. La population actuelle d'Araki est considérée comme descendant d'un ancien groupe humain ayant vécu sur (ou près de) la côte est de Santo ; après un certain temps de bonnes relations – et spécialement d'échanges de femmes – avec la population de Hog Harbour, ce groupe aurait quitté la grande île et peuplé l'île d'Araki. D'autres interprétations sont néanmoins possibles et la question pourrait être résolue grâce à la linguistique historique ou à l'archéologie.
Le Rat, le Faucon et la Pieuvre
Vanuatu, Espiritu Santo, Luganville, 1997, Moli Lele, Alexandre François
Ce conte est un long et agréable récit des mésaventures du Rat en compagnie d'autres animaux : d'abord des créatures vivant dans l'air et spécialement le Faucon (Circus approximans), ensuite des créatures marines et surtout la Pieuvre. Cette histoire comprend plusieurs parties : [1] Le Rat rame dans sa pirogue mais plusieurs oiseaux le harcèlent pour embarquer avec lui (thème à l'origine du chant) ; le bateau est sur le point de couler. [2] Sur le bateau, le Rat vole un morceau d'igname au Faucon ; le Faucon se venge en faisant couler le bateau. [3] Le Rat nage pour échapper à la mort et demande l'aide d'un requin, de Tortue, du Dauphin, et enfin de la Pieuvre qui accepte de le transporter. Mais quand la Pieuvre se rend compte que le Rat se moque d'elle, elle essaie de le tuer. [4] La dernière partie est une réflexion étiologique sur comment cette histoire considère aujourd'hui le rapport entre les rats et les pieuvres. Nous pensons que cette version mêle probablement plus d'une trame traditionnelle : la première partie, en particulier, a un crescendo qui devrait aboutir obligatoirement au naufrage du bateau, mais l'épisode du faucon apporte un nouveau rebondissement ; en fin de compte, le récit avec la pieuvre pourrait former une histoire à lui seul. Le résultat de cet ensemble est un récit agréable, poétique et très vivant, dans lequel chaque animal est investi par son équivalent humain. La personnification des animaux est évidente dans de nombreux détails de l'histoire (par exemple le rat qui déjeune avec sa Maman ou les oiseaux qui l'effraient en racontant tout à leur Papa quand ce dernier rentre à la maison), mais elle est aussi perceptible au niveau linguistique, au travers du génitif et du marqueur de l'objet.
Le désenvoûtement de Sope
Vanuatu, Araki I. South Espiritu Santo, 1998, Moli Sohe, Alexandre François
Ce récit religieux raconte comment un village (actuellement Sope) d'Araki fut délivré d'un maléfice du démon par un pasteur chrétien du nom de Sope. Le diable avait l'habitude de se cacher dans un arbre creux au bord de la route et tuait les gens en leur lançant de l'eau de pluie empoisonnée, conservée dans l'arbre. Ce tout-premier missionnaire qui appartenait au séminaire du T.T.I. (Institut d'enseignement de Tangoa), était l'un des premiers Presbytériens qui vinrent sur Araki pour combattre les "âges sombres" du paganisme, à la fin du XIXe siècle. Il libéra l'endroit des peurs païennes et des tabous, apportant la parole de Dieu. Le village de Sope prit son nom.
La chasse au crabe de cocotier
Vanuatu, Araki I. South Espiritu Santo, 1998, Ropo, Alexandre François
C'est l'histoire d'un esprit malin qui se transforma en crabe de cocotier et joua un méchant tour à deux hommes justement à la recherche de crabes de cocotier. C'est ainsi que le chasseur se transforme en proie. Selon des croyances largement répandues à cet endroit, le pire avec les esprits diaboliques est leur capacité de se transformer en une personne ou un animal, en vue d'approcher leurs futures victimes ; c'est ainsi qu'ils "mentent" aux gens. La scène a lieu à Rahuna, un endroit particulier dans le "bush" à l'ouest d'Araki où les crabes de cocotier pullulent. Ce type de "chasse" est très apprécié sur l'île, car l'animal est apprécié pour ses qualités gustatives.
Références et liens
François, Alexandre. 2002. Araki : A disappearing language of Vanuatu. Pacific Linguistics, 522. Canberra: Australian National University. xx + 355 pp.
Pour trouver plus d'informations (dictionnaire, photos...) sur le site d'A. François.
La langue araki sur Wikipedia
L'araki sur le site "Sorosoro"